Au « Tribunal Monsanto », des militants veulent mettre l’environnement au cœur du droit international
Durant deux jours, à La Haye, des témoins venus du monde entier ont raconté les méfaits de la firme américaine : pesticides, OGM, semences imposées…
Le Monde | • Mis à jour le |Par Rémi Barroux (La Haye (Pays-Bas), envoyé spécial)
Qu’ont en commun un apiculteur mexicain, une paysanne bangladaise et des agriculteurs français, argentin ou burkinabé ? Tous ont témoigné à La Haye, durant les deux jours d’audition du tribunal citoyen informel intenté contre Monsanto, les samedi 15 et dimanche 16 octobre, des méfaits dont la compagnie américaine de biotechnologie agricole serait responsable. OGM, pesticides, dont le glyphosate, monopole des semences, récoltes ruinées, animaux empoisonnés, enfants malades… les charges à répétition contre le géant américain ont été lourdes.
A l’issue de ce marathon de témoignages de victimes et d’experts, scientifiques, juridiques, toxicologues, vétérinaires… les cinq juges, dont la présidente belge de ce tribunal international, Françoise Tulkens, devraient rendre un avis d’ici au 10 décembre, journée internationale des droits humains.
Comme l’explique au Monde Françoise Tulkens, qui fut pendant quatorze ans juge à la Cour européenne des droits de l’homme :
« Nous n’allons pas prononcer de jugement. Nous allons rendre un avis consultatif. Plus précisément, nous allons vérifier si les activités de Monsanto sont en conformité avec les règles de droit telles qu’elles existent dans les instruments juridiques essentiellement onusiens. C’est un tribunal pédagogique, dont j’espère qu’il aura une influence sur le droit international des droits de l’homme et permettra des ouvertures pour les victimes. »
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Si Monsanto n’est pas condamné d’avance, ainsi que la firme s’en offusquait dans une lettre ouverte, les témoignages livrés à La Haye constituent néanmoins une charge violente. Et laissent peu de suspense quant à l’avis que rendront les juges.
« Désherbant biodégradable »
Sabine Grataloup montre aux juges, l’une après l’autre, les photos de son fils Théo. Le jeune garçon, aujourd’hui âgé de 9 ans, est né avec de graves malformations de l’œsophage et du larynx. « Il a dû avoir une trachéotomie à la naissance, cinquante anesthésies générales, il a passé les six premiers mois de sa vie en réanimation, raconte cette mère de famille de 45 ans, qui vit dans l’Isère. Pendant sept ans, nous avons dû nous réveiller toutes les quarante-cinq minutes pour faire des aspirations, afin qu’il ne s’étouffe pas. »
Durant de longues minutes, Sabine Grataloup raconte le calvaire de son fils, qui respire toujours avec une trachéotomie – « Il ne peut se baigner qu’avec de l’eau en dessous du niveau du cou » –, et de la famille, avant d’expliquer l’origine du mal. « Je m’occupe de chevaux et j’ai pulvérisé du désherbant dans une carrière d’équitation, sur plus de 700 m2, j’étais au tout début de ma grossesse, et j’ignorais encore mon état. Et la formation du larynx commence dès la quatrième semaine de grossesse. J’avais fait confiance aux publicités qui vantaient le glyphosate comme “le premier désherbant biodégradable”, un produit que j’ai donc choisi en raison de son innocuité », explique aux juges Sabine Grataloup.
A sa suite, Maria Ruiz Robledo, de Baigorrita, bourg de 1 900 habitants, dans la province de Buenos Aires, en Argentine, évoque cette même maladie, l’atrésie de l’œsophage, de sa petite Martina. Interrogée par son médecin, qui avait constaté d’autres cas sur des bébés, sur une éventuelle exposition à des produits toxiques, Maria s’est souvenue des produits chimiques, herbicides, entreposés à proximité de sa maison.
Durant les deux jours d’audition, des cultivateurs de coton, de café, de céréales, venus des cinq continents, ont égrené leurs témoignages. Un apiculteur mexicain, Feliciano Ucan Poot, narre comment le glyphosate a tué ses abeilles et raconte aussi les difficultés pour faire reconnaître le préjudice par la justice nationale.
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Portée morale importante
Ousman Tiendrebeogo, agriculteur de 68 ans vivant au Burkina Faso, dénonce, lui, les dangers des OGM, avec le coton BT, proposé par Monsanto et imposé par les autorités locales. « Ceux qui ont planté ce coton ont été piégés, ils ne pouvaient pas s’en sortir car ils devaient rembourser les intrants nécessaires avec une production en chute libre, ce coton n’étant pas au point. Les vétérinaires ne savaient pas pourquoi les bêtes, habituées à brouter les tiges restantes après la récolte, étaient malades, raconte Ousman Tiendrebeogo, responsable aussi du Syndicat national des travailleurs de l’agropastoral. Les femmes qui assurent la cueillette tombaient aussi malades, surtout les femmes enceintes, il y avait des problèmes d’allaitement. »
Pour Jean-Paul Sikeli, secrétaire exécutif de la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain, établi en Côte d’Ivoire, « ce procès contre Monsanto a une portée morale importante ». « On est là pour dire qu’on ne peut pas faire ce qu’on veut avec le monde paysan et la société civile. »
Autrement dit par Corine Lepage, l’avocate française et présidente du parti écologiste Cap21, « ce tribunal est virtuel, mais le droit qu’il va appliquer est bien réel ». « L’avis que rendront les juges permettra aux victimes de disposer d’une décision de magistrats sur laquelle elles pourront s’appuyer pour se défendre », explique-t-elle.
« Immense faiblesse du droit international »
Dimanche après-midi, dans l’ultime session de ce Tribunal Monsanto, plusieurs avocats se sont attachés à démontrer comment les agissements de la firme américaine dérogeaient aux règles déjà existantes, sur le droit à la santé, le respect des droits humains, la santé, les droits sociaux, le droit à l’information… « Monsanto s’est engagé sur ces principes et c’est à l’aune de cet engagement que l’on peut caractériser sa responsabilité », a martelé l’avocat français William Bourdon. « C’est une immense faiblesse du droit international que de voir des conventions signées avec enthousiasme par des pays, sans que cela se traduise de façon normative dans les droits nationaux », a-t-il dénoncé devant les juges.
Ce rendez-vous judiciaire, ce vrai-faux « procès » annoncé lors de la conférence sur le climat COP21, qui s’est tenue à Paris en décembre 2015, modifiera-t-il la prise en compte de ces crimes contre l’environnement et la santé des populations ? C’est l’un des buts recherchés, afin de voir à terme l’intégration de l’écocide au titre de crimes contre l’humanité. A l’Assemblée des peuples, le rendez-vous militant qui accompagnait ce Tribunal Monsanto, non loin du siège de la Cour pénale internationale, à La Haye, Vandana Shiva voulait croire à cette évolution, inéluctable dit-elle, du droit international :
« Si nous n’arrivons pas à construire ce mouvement, alors l’humanité perdra. Le changement climatique renforce cette urgence, la Terre ne peut pas se défendre, c’est à nous de le faire, nous avons dix ans pour gagner, après ce sera trop tard. »
La porte-parole mondiale de ces mouvements de défense de l’environnement demeure optimiste sur l’issue de ce combat qu’elle mène inlassablement.
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Rémi Barroux (La Haye (Pays-Bas), envoyé spécial)
Journaliste au Monde
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