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Le parlementaire est-il un agent de développement ?

Il existe un vieux débat sur le rôle du parlementaire dans le processus de développement national. La question est de savoir si le parlementaire est un agent de développement. J’ai entendu certains de nos parlementaires, même parmi les plus instruits, répondre par la négative. Les prochaines lignes justifieront pourquoi la réponse est plutôt affirmative et nette. Cependant, soyons clairs dès le début : le parlementaire haïtien, selon les vœux de la Constitution de 1987, n’est pas un gestionnaire de projets publics, encore moins un responsable de deniers publics. Ce serait en conflit d’intérêt avec sa fonction de contrôle du pouvoir exécutif. La confusion entourant ce débat vient sans doute du fait que l’on attribue trop souvent à l’agent de développement un rôle de gestionnaire de projets ou de fonds. Ce dernier peut bien être un agent de développement mais la réciproque n’est pas forcément vraie. Cette confusion levée, nous nous attarderons à expliquer pourquoi le parlementaire est un agent de développement. Ce, à travers ses deux principales missions: légiférer et contrôler l’exécutif. Légiférer = poser les bases du développement Pour démontrer le caractère développementiste de l’acte de légiférer, revenons à la thèse de l’historien économique américain Douglas North, prix Nobel d’économie en 1993, comme elle a été développée dans ma chronique du 12 mars dernier intitulée « Construire les institutions, l’urgence de l’heure ». Pour North, «l’innovation, les économies d’échelle, l’éducation et le capital humain ne sont pas des causes de la croissance économique; ils sont la croissance. L’explication fondamentale des différences dans les sentiers de croissance entre les pays réside dans les différences entre les institutions». Ces dernières sont considérées comme les règles ou les contraintes sur le comportement individuel. Et ces institutions peuvent être soit formelles : constitutions, codes d’investissement, lois ; soit informelles comme certaines normes sociales non écrites. Une loi est donc une institution.

À commencer par la loi mère, la Constitution, qui établit l’architecture de l’ensemble des institutions de base. Au sens de Douglas North, le développement économique est un processus permettant de passer d’un ensemble d’institutions archaïques et inefficaces à des institutions modernes capables d’œuvrer au bien-être des citoyens d’un pays. Et si nous admettons sa thèse, le développement d’Haïti impliquera d’abord le passage d’un ensemble de lois archaïques et inefficaces à des lois modernes et incitatives. Ce qui confère à l’acte de légiférer un caractère développementiste. Et dès qu’il s’agit de légiférer, la prérogative revient aux parlementaires. Légiférer implique la création des institutions modernes. De la qualité de ces institutions dépend le processus de développement. Ainsi, en légiférant, donc en créant des institutions, les parlementaires posent les bases du développement national. À regarder nos lois, nos codes, voire notre Constitution, on comprend l’immensité de la tâche de nos parlementaires. Il faudra actualiser, modifier, réorienter, et même inventer. À l’inverse, des mauvaises lois, donc des institutions inappropriées, peuvent conduire à un sous-développement chronique. Une trappe de sous-développement. En ce sens, une grande part de la responsabilité de notre sous-développement ou de notre incapacité à décoller économiquement incomberait à nos parlementaires qui n’ont pas su créer les bonnes institutions au bon moment. Ou du moins qui n’ont pas su adapter et/ou réorienter nos lois, donc nos institutions. L’acte de légiférer confère également à nos parlementaires un rôle avant-gardiste et prévisionniste. En ce sens que les lois, comme l’affirmait Montesquieu, disposent pour l’avenir. Et si nous en sommes là aujourd’hui, c’est que nos dirigeants ont mal disposé de notre avenir. Le caractère avant-gardiste des lois réside également dans leurs pouvoirs incitatifs. Une loi est avant tout une incitation. Et s’il faut attirer les investissements directs étrangers, on doit commencer par créer un cadre légal incitatif et compétitif capable de rediriger, par exemple, les investisseurs de l’Asie vers Haïti. Contrôler l’exécutif = gestion optimale des ressources = croissance économique L’autre mission du parlementaire, laquelle lui confère un rôle d’agent de développement, est celle de contrôler les actions du pouvoir exécutif. Il approuve, à travers le vote du budget et de l’énoncé de la politique générale du gouvernement, les plans et programmes gouvernementaux. Ce faisant, il participe à l’élaboration de stratégies de développement, à l’établissement des plans d’actions et à la supervision de leur mise en œuvre. Chacune de ces étapes doit faire l’objet d’un projet de loi minutieusement réfléchi.

De même, en promouvant un cadre légal incitatif, le parlementaire aide à dénicher les entrepreneurs et investisseurs potentiels, évalue leurs besoins et leur montre les avantages qu’il y aurait pour eux à s’établir en Haïti plutôt qu’ailleurs. À l’inverse, les parlementaires peuvent être tenus également responsables de l’absence de ces plans et programmes de développement. La vertu du contrôle parlementaire réside dans l’objectif d’une gestion optimale des ressources. Notre environnement économique précaire commande rigueur et efficacité dans la gestion de la chose publique. Chaque gourde dépensée devrait faire l’objet de ce contrôle minutieux. Ce, dès la conception des plans, programmes et projets. Le contrôle parlementaire devrait ainsi constituer un rempart contre la corruption dans les plus hautes sphères de l’État. Ce contrôle représenterait un élément crucial à la création du climat attractif à l’investissement tant rêvé. Et comme les différents indices de gouvernance de la Banque mondiale le démontrent, un contrôle parlementaire judicieux axé sur la reddition des comptes minimise l’ampleur de la corruption, conduit à un meilleur climat des affaires, donc à un flux d’investissement plus important. Au bout du compte, l’efficacité gouvernementale engendrée par un contrôle parlementaire efficace devra aboutir à une croissance économique plus élevée. Et si le parlementaire vend ses votes aux enchères ? Ce qui rend très délicat le débat sur le développement national, c’est notre forte propension à pervertir les idées et les institutions les plus nobles. Les chercheurs en économie du développement peuvent beau mettre l’emphase sur la nécessité et l’importance des institutions comme le Parlement dans le développement économique; si le parlementaire haïtien vend son vote aux enchères, le Parlement haïtien, au lieu de contribuer au développement national, participera plutôt à la persistance du sous-développement.

L’expérience de l’équipe de Martelly en est un exemple éloquent. D’une part, il est difficile de prouver que les deux Premiers ministres ratifiés – Garry Conille et Laurent Lamothe – satisfassent mieux les critères d’éligibilité que les deux Premiers ministres rejetés – Daniel Rouzier et Bernard Gousse. Sous prétexte de vote politique qu’ils opposent au vote « technique », nos parlementaires se croient tout permis. Même l’inacceptable. Comme si la politique haïtienne n’avait rien de technique. Encore moins de scientifique. D’autre part, il est d’autant plus difficile de prouver que les Premiers ministres ratifiés étaient plus compétents et plus expérimentés que ceux rejetés par le Parlement. Ainsi, le Parlement ne concourt pas au bien-être collectif en valorisant les plus capables mais sert plutôt à des intérêts particuliers. Et si les confidences du sénateur Anacacis et du député Bourjolly, affirmant que l’exécutif a acheté les votes des parlementaires – sont vraies, les parlementaires violeraient les lois qu’ils ont eux-mêmes votées. Le Parlement ferait alors le choix de la corruption au détriment de la promotion de la compétence et de l’expérience. Un jeu qui éloignerait de la Primature les citoyens les plus compétents, honnêtes et intègres. À quoi peut servir un tel Parlement qui pourtant coûte très cher aux misérables contribuables? Surtout pas au développement national. Des sénateurs et des députés peuvent-ils diffamer leur propre institution? Dans l’affirmative, ils seraient indignes d’une institution aussi prestigieuse et mériteraient la destitution. Le Parlement peut-il rester muet sur cette affaire ? Ironie du sort, le comportement des parlementaires ne rend service à personne. D’abord, il ne rend pas service au président de la République qui pourrait trouver par exemple en Daniel Gérard Rouzier un meilleur Premier ministre que les autres Premiers ministres ratifiés. La ratification de Daniel Rouzier aurait permis au pays de sauver les quatre premiers mois de négociation vaine de la présidence de Martelly avec le Parlement en vue de former un gouvernement. Peut-être que M. Rouzier n’aurait pas connu non plus le même sort que celui de Garry Conille. Le président aurait alors mieux amorcé son quinquennat. Si le spectacle gratuit offert par le Parlement peut servir l’intérêt particulier de quelques parlementaires, il nuit énormément à son image et à sa crédibilité. Il sera difficile à cette législature de vendre l’image d’une institution républicaine intègre qui défend l’intérêt collectif. Et quant au Premier ministre ratifié lui-même, il entamera son règne sous une pluie de soupçons de corruption qui ne peut que lui être défavorable. Ce qui ne fera qu’aggraver la perception de corruption qui pèse sur le pays depuis des années.

La réflexion sur le décollage économique national doit inviter chacun des pouvoirs ainsi que chaque secteur à jouer pleinement son rôle. Mais faut-il bien commencer par identifier et clarifier le rôle de chacun. À date, nos parlementaires ne font nullement la preuve qu’ils maîtrisent leur mission. L’acceptation des cachets du gouvernement pour les fêtes de fin d’année et la suspicion de vente de vote constituent des exemples éloquents. Une telle perversion institutionnelle ne peut être que préjudiciable au processus de développement national. Lorsque les lois ne sont pas respectées – même par leurs géniteurs-, elles perdent toute leur essence incitative et tout leur sens dissuasif. Ce qui crée un climat d’incertitude et d’imprévisibilité qui fait fuir les investisseurs potentiels. Est-ce vraiment cela un pays ouvert aux affaires ?

Auteur : Thomas Lalime – thomaslalime@yahoo.fr

 

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