PAR GASPARD BREMOND
Dans cette zone située entre les Bermudes, Porto Rico et la Floride, des dizaines de bateaux et avions auraient disparu au fil des années. Alors que la légende a vu le jour il y a tout juste soixante-dix ans, des scientifiques relancent une théorie qui expliquerait (peut-être) tous ces drames.
Et si, pour percer le mystère du Triangle des Bermudes, la solution venait… de Sibérie ? C’est du moins l’hypothèse émise par des scientifiques, et dont un article dans le « Journal of Geophysical Research » s’est fait l’écho. Selon eux, en résumé, les bulles de méthane libérées du sol sous-marin pourraient expliquer beaucoup de choses dans le fameux triangle…
De quel phénomène parle-t-on ?
D’abord, préalable essentiel avant de parcourir cet article : le sol sous-marin contient du méthane. « Il y a du méthane emprisonné par l’action des bactéries sur la matière organique, qui se retrouve dans le sédiment », confie Gilles Reverdin, chercheur au CNRS et au laboratoire en océanographie et du climat : expérimentation et approches numériques (LOCEAN, à Paris). Dans certaines zones du globe, le méthane présent dans le sol se transforme en glace, et« devient alors ce que l’on appelle les hydrates de méthane ».
On en vient à la Sibérie… « Le danger dont ils parlent dans cette étude, ce sont les « pingos », dans les mers du Nord. Ces pingos sont des sortes de monticules d’accumulation de méthane, qui n’est donc pas libéré continuellement. Et à cause du réchauffement des eaux (lié au réchauffement climatique), le méthane n’est pas stable et ça forme une grosse poche de gaz. » Cette poche de gaz ou ce monticule serait, dans certains endroits, susceptible de libérer soudainement un nuage de bulles de méthane… provoquant, selon eux, une sorte d’explosion sous-marine.
Ce phénomène, disent-ils, ils l’ont déjà observé en Sibérie. Sur terre, cela crée d’immenses crevasses baptisées « dolines ». En mer, dans la partie sud de la mer de Kara, deux « pingos », étape précédant l’éclatement de la réserve de méthane, ont déjà été repérés au large de la péninsule russe de Yamal…
Pourquoi faire le lien avec le Triangle des Bermudes ?
Parce que ces scientifiques estiment que ce phénomène pourrait se produire dans le Triangle des Bermudes, et donc expliquer toutes ces disparitions. Effectivement, en se libérant en masse après « l’explosion » des monticules, le méthane « glacé » transformé en gaz diminuerait alors la densité de l’eau, et lui donnerait un effet « mousse » jouant sur la portance des bateaux. Dans les cas extrêmes, une sorte de trou se créerait donc dans l’océan dans lequel un bateau s’enfoncerait car il serait dès lors incapable de flotter. Pour être plus visuel : prenez l’image d’une flûte de champagne : imaginez un bateau flotter sur la mousse, il se retrouvera quoi qu’il arrive aspiré vers le bas de votre verre au fil des secondes…
L’hypothèse des bulles de méthane avait d’ailleurs été émise en 2001, lorsque l’épave d’un chalutier avait été découverte au fond de l’eau, posée à plat au centre d’un cratère sous-marin géant. L’endroit (une région sous-marine, vestige de l’éclatement d’anciennes poches de gaz), se prêtait parfaitement à cette théorie. Et le bateau, en plus, était posé droit sur sa quille, intact en apparence, comme s’il avait été aspiré dans un trou…
Est-ce crédible ?
Oui, estiment certains scientifiques, ajoutant même que la forte concentration de méthane dans l’air pourrait entraîner de fortes turbulences atmosphériques et donc des difficultés… en l’air, pour les avions ! Sauf que cet avis est loin de faire l’unanimité chez les chercheurs.
Gilles Reverdin confie : « À titre personnel, dans cette région, cela me paraît complètement fantaisiste. Il faudrait vraiment une très grosse bulle pour arriver à retirer de la portance. » Il poursuit :« Dans le golfe du Mexique, il y a énormément d’accumulation de sédiments, et de temps en temps des émanations de méthane assez fortes. Mais ce sont des champs de petites bulles, rien de plus ! De là à tirer un bateau vers le fond… » D’autant, dit-il, que « les fonds sont profonds, environ 4 000 mètres. Dans cette région dite du Triangle des Bermudes, le méthane devrait donc se redissoudre dans l’eau avant d’arriver à la surface… »
Selon ce chercheur, si ce genre de théories devait fonctionner, cela concernerait seulement « des régions froides, où le méthane, au lieu d’être sous sa forme gazeuse, est sous forme de glace. Je pense aux pourtours de l’Arctique, en mer de Barentz et Kara, etc., là où il y a eu de forts réchauffements des eaux. Là, effectivement, il y a un risque. Mais dans la région du Triangle des Bermudes, à 4 000 mètres, le réchauffement des eaux profondes est très faible… »
Gilles Reverdin n’a, lui, le souvenir que d’un seul bateau coulé à cause d’une émanation de gaz. « Mais c’était sous l’effet d’une explosion volcanique dans le Pacifique. Un bateau japonais faisait de la recherche et s’était retrouvé pile à l’endroit d’une explosion volcanique sous marine. Là, le champ de bulles était suffisant pour qu’il n’y ait plus de portance. »
Et alors, quelle est l’explication ?
Comme toute légende, la réalité a évidemment été amplifiée, dénaturée, pour faire naître un mythe. Néanmoins, les disparitions dans cette zone ont bien existé. Ce qui fait dire à Gilles Reverdin : « Il pourrait y avoir deux explications. D’abord la météo. Dans cet endroit, vous avez des vents très faibles, et d’un coup une tempête, un cyclone… Et puis il y a les sargasses, ces algues flottantes qui sont sources de gros problèmes pour nombre de marins. Dans ces régions chaudes, pas très riches en sel nutritif, où les vents ne sont pas toujours très forts, il peut y avoir beaucoup d’algues. En fonction de la taille de votre bateau, ce n’est parfois pas évident de s’en sortir. » Le mystère demeure, donc.
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